La publicité numérique, un impact au moindre clic

En 1994, la première bannière publicitaire était mise en ligne[1]. Et près de vingt-cinq ans plus tard, la publicité numérique est devenue omniprésente dans notre quotidien. Elle représente désormais plus de la moitié des budgets publicitaires à l’échelle du globe et a d’ores et déjà dépassé les publicités traditionnelles. Partout sur nos ordinateurs, nos téléphones, nos tablettes, elle s’adapte et prend de multiples formes : réseaux sociaux, bannières et vidéos, emails et newsletters, comparateurs en ligne, recherches sponsorisées. Elle nous reconnait, nous traque, pour mieux nous cibler grâce aux pubs personnalisées. Mais de plus en plus, la publicité numérique déborde de nos écrans pour s’immiscer dans notre vie quotidienne : on la retrouve sur des panneaux digitalisés, sur des abris-bus dernier cri, dans les métros. Aujourd’hui, nous assistons à une véritable numérisation de la publicité traditionnelle.                

                 Et pour cause : la publicité numérique a le vent en poupe. Economiquement, elle est extrêmement rentable, amenant presque à chaque fois l’individu à consommer, grâce aux suggestions personnalisées. Mais écologiquement, la facture s’élève de plus en plus. Internet dans sa globalité représente 10% de la consommation électrique mondiale, avec 1.3 milliards de tonnes de CO2 rejetées en 2020. Sur la toile, ce sont les vidéos qui consomment le plus : avec 300 millions de tonnes de CO2 en 2018, elles équivalaient aux émissions carbones de l’Espagne cette même année. Et pourtant, la vidéo est le premier poste d’investissements de publicité numérique, à hauteur de 40% des dépenses. Et de manière générale, l’impact de la publicité sur internet s’estime à 106 térawattheures (en 2016), soit 1,5 fois la consommation annuelle d’énergie en Ile-de-France. Traduit en émissions de CO2, cela représente 60 mégatonnes soit 60 millions d’allers-retours Paris – New York en avion[2]. C’est tout simplement énorme. Et surtout, on peut sans risques s’imaginer que ces chiffres continuent sans cesse de se décupler.

                 La publicité numérique nous semble légère, anecdotique, parfois même invisible ; elle pèse pourtant très lourd pour l’environnement. Elle mobilise de l’énergie, nous l’avons vu, mais aussi de la bande passante des réseaux télécom pour être diffusée et surtout du matériel technologique de pointe, pour être stockée. Or, ce matériel est très gourmand en terres rares. Ces dernières résultent d’une exploitation sévèrement critiquée, car désastreuse autant sur le plan environnemental qu’humain. Et pourtant, la demande pour ces métaux précieux explose, et la publicité numérique n’y est pas étrangère.                

                 Toutefois, calculer et chiffrer avec précision cet impact s’avère difficile voire impossible. Les chiffres mentionnés plus haut sont le résultat d’une analyse comprenant de nombreuses incertitudes et hypothèses arbitrairement posées. En vingt-cinq ans, la publicité en ligne a complexifié son organisation, a multiplié ses canaux, a rendu son fonctionnement plus opaque. On parle aujourd’hui de « publicité programmatique », où les emplacements des bannières et autres encarts sont décidés grâce à des enchères automatisées ; puis les opérations se font en arrière-plan, les données circulant dans le flou numérique qu’est la toile. Dans ces conditions-là, difficile de s’y retrouver. Et s’il est difficile d’étudier avec précision l’impact environnemental de la publicité numérique, alors il devient d’autant plus difficile de l’encadrer.                

                 Internet et la publicité évoluent main dans la main, il serait donc quasi-impossible de chercher à interdire la publicité en ligne : c’est notamment elle qui, depuis toujours, permet de financer les contenus gratuits et en libre accès. Toutefois, des pistes sont envisageables pour contrôler son impact environnemental. Concernant les vidéos, elles pourraient être encadrées pour ne pas se lancer automatiquement, et être par défaut proposées en basse qualité, moins énergivore. L’envoi massif de mails publicitaires pourrait être strictement contrôlé. Enfin, le traçage des internautes est au cœur des considérations. Grâce à la loi RGPD de 2018, le consentement est désormais nécessaire pour les cookies permettant de nous tracer. Dans la même idée, il n’est plus possible de recevoir des emails, fax et sms sans l’avoir accepté au préalable, et il est possible de se désabonner à tout moment. Ces mesures ont permis de réduire l’afflux d’informations et donc la consommation d’énergie de la publicité… mais il reste encore beaucoup à faire.

Fanny Clausse

 

[1] « Manifeste pour une sobriété publicitaire » (en ligne), publié le 1 septembre 2019 par Théophile Magali, <https://theconversation.com/pollution-numerique-manifeste-pour-une-sobriete-publicitaire-122286>, consulté le 28 novembre 2020.

[2] Environmental impact assessment of online advertising (en ligne), publié en novembre 2018 par M. Pärssinen et al., < https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0195925517303505> consulté le 28 novembre 2020.