PAC 2023 – 2027

Valentin Joffre, Avril  2022

La PAC, une ancienne gloire en manque de neuf :

La PAC (Politique Agricole Commune), mise en place en 1962 est l’une des plus anciennes politiques communes de l’UE (Union Européenne) et fut l’une des plus efficaces à ses débuts.

A la sortie de la guerre, la PAC a permis un essor majeur de l’agriculture parmi les puissances européennes lors des 30 glorieuses (1945 – 1975) avec pour objectif initial d’augmenter la productivité du secteur agricole et garantir la sécurité alimentaire des pays d’Europe de l’ouest. Cela en transformant l’agriculture en machine industrielle et intensive : La PAC a encouragé l’industrialisation de notre agriculture, beaucoup de fermes ont disparu pour laisser place à de grosses exploitations agricoles. Elle a encouragé les agriculteurs à s’agrandir et à produire toujours plus, ce qui implique des exploitations plus polluantes (pesticides, déforestation, pollution) avec des impacts environnementaux considérables.

Nous n’allons pas revenir en détail sur toutes les réformes de la PAC (il y en a eu beaucoup !) mais il faut savoir que dès les années 1970 l’offre devient supérieure à la demande[1] (les ministres européens instaurent des quotas en 1984) et de nombreuses réformes vont alors se succéder dont les différentes orientations d’aides financières (aides directes aux producteurs, au développement rural, en faveur de l’environnement, aux jeunes agriculteurs …)

Depuis plusieurs années donc, la PAC n’est plus adaptée aux enjeux actuels d’une Europe qui n’a plus aucun problème de production agricole[2]. Les enjeux actuels sont davantage environnementaux et sociétaux, avec notamment la rémunération plus juste des agriculteurs ou le retour à une agriculture raisonnée avec des conséquences environnementales maitrisées.

Une réforme était donc attendue afin de moderniser la PAC sur les enjeux environnement mais également afin de régler trois problèmes majeurs que la PAC traine depuis plusieurs années :

  • Un malaise paysan constaté chez les agriculteurs qui ne se sentent pas assez aidés par la PAC2. Ce problème est double pour les agriculteurs qui font l’effort de produire du BIO mais ne sont pas encouragés à continuer dans cette optique.
  • Un problème de surproduction que la PAC a tentée d’endiguer en offrant une aide aux agriculteurs qui gardaient leurs terres en jachère. Cependant cette aide est indexée sur le nombre d’hectares possédés par l’agriculteur, ce qui désavantage les petits producteurs qui eux n’ont pas assez d’hectares pour vivre de cette aide et doivent donc continuer de produire et donc de payer des charges.2
  • Un budget jugé beaucoup trop important au vu des résultats actuels de la PAC pour les principaux contributeurs (France, Allemagne, Pays-Bas, anciennement Royaume-Uni).

Afin d’avoir une PAC proche des besoins des pays membres de l’UE, une campagne de proposition d’objectif a pris place lors du dernier semestre de 2020. Ainsi, les pays membres ont proposé leur PSN (Plan Stratégique National). De ces propositions, il en est ressorti 10 objectifs que la nouvelle PAC doit atteindre :

Favoriser le développement d’un secteur agricole innovant, résilient et diversifié garantissant la sécurité alimentaireRenforcer la protection de l’environnement et l’action pour le climat afin de contribuer aux objectifs de l’Union Européenne Renforcer et consolider le tissu socioéconomique des zones rurales
Renforcer la compétitivitéLutter contre le changement climatique et s’y adapterAttirer les jeunes agriculteurs
Rééquilibrer les rapports de force dans la chaine de valeurGérer durablement les ressources naturellesRedynamiser les espaces ruraux
Assurer le revenu juste et soutenir la résilience du secteurProtéger la biodiversité, les paysages et les écosystèmesRépondre aux attentes sociétales sur l’alimentation, la santé et le bien-être animal

Les délibérations concernant la manière d’atteindre le plus d’objectifs tout en contentant les 27 membres de l’UE se sont étalées sur le premier semestre de 2021 et les mesures décidées lors de ces débats entreront en vigueur dès le 1er Janvier 2023, elles seront également valables pour les 5 prochaines années

Quelles sont les nouveautés de la PAC 2023 – 2027 ?

  1. Un volet écologique important…

La principale réforme est écologique. En effet il s’agit de l’arrivé des éco-régimes qui vont remplacer les paiements verts.  Les paiements verts qui eurent un impact assez neutre sur les pratiques environnementales des agricultures européennes car seul 5% des agricultures européennes ont dû changer leurs pratiques environnementales pour y avoir accès. Les éco-régimes étaient donc attendu pour être plus exigent et plus ambitieux concernant la transition écologique et l’agriculture de demain ; voyons donc leurs fonctionnements.[3]
Les éco-régimes seront des aides, représentant 25% du budget du premier pilier (qui est entièrement financé par l’Union contrairement au second cofinancé par l’Union et des fonds nationaux et régionaux), il s’agit de la mesure principale de cette nouvelle PAC. Ces nouvelles aides auront des conditions d’accès qui ont pour but de récompenser l’engagement des agriculteurs dans des efforts supplémentaires vis-à-vis de la transition agro écologique. Le but est d’accompagner les agriculteurs vers une production moins intensive, plus bio et plus respectueuse de l’environnement (moins de pesticide, meilleur traitement des animaux, multi cultures).

Les éco-régimes ont trois voies d’accès et deux niveaux de revenus :

  • Les pratiques agricoles des agriculteurs tel que la diversité de leur culture ou la couverture végétale de leur inter rang seront jugées selon des critères déjà établie et consultable sur le site du gouvernement. Ces critères donneront lieu a une note qui décidera de l’accès ou non l’éco régime et à quel niveau d’aide
  • Les certifications environnementales tel que le CE2 (pour le niveau 1 des aides) ou le HVE et le AB (pour le niveau 2) pourront également permettre un accès aux aides
  • Enfin la part d’IAE (Infrastructure agroécologique) sont des espaces définies comme sans fertilisation chimiques ou organiques. Le ratio d’IAE sur la culture totale de l’agriculteur sera calculé et pour lui permettre d’accéder à l’éco-régime (7% pour le niveau 1 et 10% pour le niveau 2)

En termes de rémunération, le niveau 1 des éco-régimes correspond à 60€ par hectares pour l’agriculteur et le niveau 2 grimpe à 82€ par hectares.

Ces aides présentent plusieurs avantages :

  • Elles remplacent les aides offertes aux agriculteurs qui gardaient leur terre en jachère, permettant ainsi aux agriculteurs d’être aidés dans leur travail, ce qui va atténuer le malaise paysan actuel. En partie dû au fait que beaucoup d’agriculteurs avaient l’impression que le gouvernement œuvrait contre eux.
  • Elles vont aider à remplacer une partie des culture industrielles qui présentent des risques de surproduction par une culture plus respectueuse de l’environnement qui va produire moins de quantité mais des produits de meilleure qualité et garantissant une meilleure sécurité alimentaire

Enfin le fait de savoir que cette réforme n’est que la grande sœur de nombreuse autre réforme qui suivront après 2027 et qui (on l’espère) iront plus loin dans ce sens est déjà un point positif en sachant le manque d’action concrète auparavant

  • …Mais insuffisant

Certes, les éco-régimes peuvent être considérés à première vu comme une avancé vers une agriculture plus respectueuse de l’environnement, cependant en rentrant dans le détail, ces réformes ressemblent plus à une occasion manquée qu’une vraie avancée.

  • Premièrement, les conditions d’accès aux éco-régime qui sont trop souples et ne soutiennent pas les agriculteurs les plus vertueux. En effet, sur les grandes cultures françaises, 79% seront immédiatement éligible à ces aides sans changer quoi que ce soit car ils respectent déjà dans les conditions d’accès aux aides, et pourront être rejoint par 13% des agriculteurs restant si ceux-ci s’accordent à des changements minimes dans leurs cultures.

Donc 92% des agriculteurs auront accès aux aides sans avoir à changer grandement leurs manières de produire. Au final la situation ne change pas beaucoup puisque les agriculteurs qui investissent dans l’agriculture de demain ne sont pas plus aidés que les autres.[4]

  • Une autre critique porte sur le fait que pour toucher certaines aides, le label ‘Agriculture biologique’ est placé au même niveau que le label ‘Haute valeur environnementale’ (HVE), actuellement moins-disant mais largement mis en avant par le ministère de l’agriculture.4

Certes le ministère affirme que le cahier des charges du label HVE va être modifié mais à moins d’une refonte majeure, la présence du label HVE au même niveau que le label « agriculture biologique » restera douteuse. D’ailleurs l’autorité environnementale à en Octobre 2021 confirmée cet état de fait lors de la présentation du PSN de la France :
« Une inconnue subsiste donc sur le gain environnemental attendu » – « la trajectoire tracée par le futur PSN ne rejoindra pas d’ici 2030 celle de la stratégie nationale bas carbone, ni celle du plan biodiversité ».
Un point que l’institut du développement durable et des relations internationales avait mentionné lors d’une publication en mars 2021 : « La prise en compte de la certification HVE pour les éco régimes de la PAC doit être conditionnée à une révision profonde de son cahier des charges faute de quoi, c’est l’ensemble du dispositif d’éco régime français qui se trouvera décrédibilisé » [5]

De plus le second but de cette réforme était de réduire les dépenses « inutiles » de cette politique, en témoigne l’autre volet de la réforme qui empêche les agriculteurs de plus de 61 ans de cumuler leur retraite et les aides de la PAC. Ceci va également permettre de rajeunir ce secteur (qui est aussi un objectif de la PAC) en permettant à de jeunes agriculteurs de reprendre les cultures d’agriculteurs de plus de 61 ans et qui ne souhaitent plus travailler et qui vont donc vendre leurs cultures.

Cependant ce manque d’aides pour l’agriculture de demain et le manque d’ambition quant à la transition agricole de cette réforme risque de freiner voir de faire régresser les progrès des dernières années. Nous pouvons cependant évidement ajouter le fait que si la PAC évite de mettre des conditions plus importantes sur ses aides c’est dû au fait que les aides ont toujours été sans conditions auparavant, et le but de base de la PAC est d’aider tous les agriculteurs.

Conclusion

Ces accords seront effectifs dès le 1er Janvier 2023 et seront valides pour les 5 années suivantes. Cette réforme de la PAC était attendue et prend au final la forme d’un rendez vous manqué tant les réformes manquent d’audace. La PAC ne va donc pas aider l’agriculture en Europe à progresser vers un fonctionnement plus écologique et continuer de stagner pour les 5 prochaines années car les perspectives d’amélioration à mi-parcours sont malheureusement assez minces.
Si la situation actuelle semble morose il y à néanmoins un espoir qui se nomme l’action citoyenne. En effet, posons nous la question de savoir si nous sommes prêts à engager une part plus importante de notre budget dans notre consommation alimentaire pour s’assurer de se nourrir de manière seine et sans danger pour notre santé.
Vos actes d’achats encourageront l’agriculture de demain, les paysans engagés dans le bio et le local et démontreront aux pouvoirs publics que nous exigeons l’accès à une agriculture biologique. Tant que les normes du label HVE ne seront pas revues à la hausse il faut éviter l’achat de produit présentant l’insigne du label.
Cette réforme n’est pas encore en place qu’elle suscite déjà des critiques, il y a fort à parier qu’il y aura des mouvements sociaux afin de manifester le mécontentement des agriculteurs courant 2022. Un mécontentement compréhensible lorsque nous voyons la pénibilité et le manque de considération de ce métier. Il reste donc probable que d’ici 2023 des changements soient opérés avant la mise en place de la reforme qui scellera le fonctionnement de la PAC jusqu’en 2027.


[1] Rétrospective des 50 ans de la PAC, 29/02/2012 – agromedia.fr, https://www.agro-media.fr/analyse/retrospective-des-50-ans-de-la-pac-6771.html

[2] Les grandes mutations du monde au XXe siècle (Nouveaux continents), 2021 par Nicolas Balaresque

[3] Que sont les éco-régimes, le nouveau dispositif environnemental de la future PAC ? – Pour une autre PAC : 28 avril 2021 : https://pouruneautrepac.eu/que-sont-les-eco-regimes-le-nouveau-dispositif-environnemental-de-la-future-pac/

[4]  https://www.entraid.com/articles/nouveautes-pac-2023-2027-creation-eco-regimes

[5] https://www.actu-environnement.com/ae/news/PAC-autorite-environnementale-avis-negatif-plan-strategique-national-38460.php4