Du brevetage de la nature bio aux banques pour la biodiversité

Historiquement, les brevets ont commencé à devenir monnaie courante au début de la Renaissance, en couvrant petit à petit tous les champs de l’industrie. Mais quand Louis Pasteur dépose un brevet sur une souche de levure en 1873, un débat s’en est suivi sur le caractère « vivant » de l’objet de ce brevet. Peut-on breveter ce qui ne nous appartient pas et ce qui n’est pas de nous ? Peut-on breveter la nature ? Et à terme, peut-on en faire un objet de monétarisation ?

Le brevet, le vivant et l’Homme : vers une stérilité de la diversité agricole ?

L’Homme, être de culture, vit au sein de la nature, mais il ne peut pas prétendre s’assimiler à cette dernière. Nous nous distinguons de la nature parce que nous sommes des êtres de pensée. Mais peut-on faire sien par le biais de la « propriété intellectuelle » ce qui est dans la nature, et qu’on ne fait que mettre au jour, en ôtant à la nature son voile de passivité qui lui est inhérent ?

Un brevet protège une innovation technique et nouvelle, une invention susceptible d’application industrielle auprès de l’Institut national de la propriété industrielle (INPI)[1]. Le brevet renvoie donc à l’idée de propriété intellectuelle.

De ce fait, il est clair qu’il n’y a pas de brevet sur la vie : « Ce n’est pas l’être vivant en tant que tel qui est breveté, mais un enseignement technique. Le brevet ne confère pas de droit de propriété sur la matière biologique. »[2] En fait, est brevetable tout élément qui peut être « isolé » du corps humain et donc soumis à des processus techniques. La Compagnie Nationale des Conseils en Propriété Industrielle (CNCPI) est très claire : avec ce critère, la matière biologique peut être brevetée. Des brevets peuvent donc être délivrés pour des inventions portant sur des plantes et des animaux (tant que cela ne porte pas atteinte aux races animales ou aux variétés végétales ni que cela n’affecte le croisement sexué des espèces)[3]. La porte est donc ouverte mais le brevetage de la nature est encore encadré. La France a adopté un Règlement européen (2014) pour garantir un partage des bénéfices tirés de l’exploitation commerciale des ressources génétiques et lutter contre la biopiraterie. Les États-Unis ne suivent pas les mêmes codes : il est possible de breveter certaines plantes (1930, 1970) et même des bactéries (1980) sous prétexte que tout ce qui pousse et vit sous le soleil grâce à l’ingéniosité humaine peut être breveté.

En d’autres termes, s’interdire tout droit de propriété sur les procédés « essentiellement biologiques » de la nature, c’est s’autoriser par exemple les procédés visant à obtenir des OGM grâce au génie génétique[4]. Cela a d’autres conséquences sur le monde agricole. Si une plante est brevetée, il est alors interdit de conserver une partie de la récolte pour en faire la semence l’année suivante. De même, les agriculteurs auraient interdiction de s’échanger des semences alors que c’est justement ce qui engendre une grande agrobiodiversité (les semences sont adaptées aux territoires). Cela veut dire que le brevet entraîne une « stérilité juridique » des plantes agricoles et donc un appauvrissement de la biodiversité cultivée alors même que le coût des royalties (ou redevances) sur les semences ne cesse d’augmenter (31% du prix de la semence en 2011)[5].

Quid de la monétarisation de la nature : condition de la transition écologique ?

Monétariser la nature, c’est utiliser la mesure monétaire pour évaluer un bien, sans le vendre pour autant, c’est-à-dire avoir la possibilité de mettre des outils économiques à la disposition de sa préservation (il n’est donc pas question de marchandisation de la nature). On pourrait s’indigner d’un tel raisonnement, et pourtant, parce qu’il met en avant les avantages d’un environnement préservé et à l’inverse le coût d’un environnement dégradé, ne serait-il pas conciliable avec l’enjeu de la transition écologique ? Gardons en tête que la limite d’une telle monétarisation, qui à terme considère les ensembles écosystémiques comme des biens et des services, conduit à concéder une valeur consumériste à la nature, nous permettant de légitimer son utilisation, son appropriation et sa dégradation. Mais en allant plus loin, considérer la nature comme une personne juridique avec des droits permettrait de passer d’une logique de réparation des dégâts commis à « une logique de protection de la valeur intrinsèque de la nature »[6]. La transition écologique réside donc dans l’interdisciplinarité qui responsabilise l’homme dans la préservation de ce qui l’entoure.

Quelle banque pour la biodiversité ?

Et les banques dans tout ça ? Doit-on encourager uniquement les banques qui inventorient les espèces ou donner une chance aux banques qui jouent avec la finance ?

Notre économie dépend de la biodiversité autant que la biodiversité dépend du secteur bancaire : si les marchés se modifient à la faveur de la protection environnementale (habitudes de consommation, mesures gouvernementales, etc), les entreprises et les banques se voient bouleversées, voire mises à mal, tant vis-à-vis de la transition écologique que de leur réputation[7] : qui achèterait des actions dans une entreprise qui reconnaitrait la nocivité de ses activités ?

Le concept de « banque pour la biodiversité » émerge avec son lot de controverses. En Angleterre, la plus grande banque internationale de graines sauvages pour la biodiversité stocke près de 40 000 espèces de plantes mais n’a pas vocation à les maintenir sous scellé : l’objectif est à terme de faciliter la restauration d’espèces menacées (une sur cinq dans le monde)[8]. Le coût environnemental du fonctionnement de tels réservoirs frigorifiques de plantes est cependant une limite de cette initiative pour préserver l’avenir de la biodiversité.

Au-delà de ces banques d’espèces, que peuvent faire les banques financières aujourd’hui ?

Si une « finance verte » émerge, celle-ci se concentre sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre, en omettant l’enjeu de la biodiversité. Un simple exemple : l’entreprise Monsanto a été classée en tête des entreprises de l’économie verte sous prétexte qu’elle propose des semences résistantes à la sécheresse et donc capables de s’adapter au changement climatique, comme si cette innovation controversée suffisait à passer sous silence l’impact de cette entreprise sur la biodiversité[9]. Le constat est sans appel : pour réduire le risque climatique, les investissements financiers et techniques réalisés accélèrent la perte de biodiversité. La surexploitation agricole est donc à terme contreproductive vis-à-vis des ressources naturelles et de la production alimentaire.

Mais les prémisses d’une économie verte apparaissent en France : la finance verte prend en compte de plus en plus de critères[10], relatifs à l’eau, au climat, à la déforestation et à la biodiversité. Reste à espérer que cela n’en reste pas au simple habillage RSE ou ne tourne pas au greenwashing.

La crise sanitaire, avec ses conséquences financières et économiques, porte en elle le germe d’un renouveau. La fragilité incite aujourd’hui les banques à investir dans le développement durable puisque les activités à dimension environnementale et sociale ont – et c’est surprenant ! – un impact positif et significatif sur la stabilité bancaire[11]. En fait, soutenir des modèles plus durables est gage d’une légitimité sociale (fondée sur une confiance mutuelle dans les négociations puisque les investissements ont un impact social) et donc de bonne réputation pour les banques. De ce fait, les banques « durables » réduisent donc dès le lancement de leurs projets les risques d’insolvabilité. La crise actuelle peut être vue comme un point de lancement pour que les banques s’engagent à long terme dans le développement durable.

Conclusion

Le secteur bancaire peut donc insuffler une mutation vers la durabilité de ses modèles et à terme changer l’état d’esprit des entreprises pour faire face aux nouvelles exigences économiques de la croissance durable. Face aux incertitudes et à la peur que la crise suscite, la finance verte à de beaux jours devant elle. Impliquer la biodiversité dans la transition écologique et le dynamisme économique qui lui est associé est porteur d’espoirs fondés, reste à chacun de s’investir personnellement pour cela, dans nos responsabilités professionnelles au quotidien. Que cela ne soit pas un prétexte au brevetage de toute la biodiversité ! Le développement durable doit permettre de trouver ce juste équilibre alliant protection et valorisation de la biodiversité grâce à une finance verte, responsable et éthique.

Juliette BRISSART

 

[1] INSEE (en ligne), https://www.insee.fr/fr/metadonnees/definition/c2054, consulté le 26 octobre 2020

[2] ORES Béatrice, PARIS Fabienne, VIAL Lionel. « La brevetabilité du vivant », Conseils en Propriété Industrielle (CPI), décembre 2015

[3] Ibid

[4] Institut National de la Propriété Intellectuelle (en ligne), https://www.inpi.fr/fr/comprendre-la-propriete-intellectuelle/le-brevet/cas-particulier-non-brevetabilite-des-plantes-et-des-animaux-obtenus-par-croisement, consulté le 27 octobre 2020

[5] INF’OGM (en ligne), https://www.infogm.org/faq-les-brevets-sur-le-vivant-et-les-OGM, consulté le 27 octobre 2020

[6] PHILIPPE Clara. « Monétariser la nature pour mieux la préserver », Bio-ressources : le blog, 2019, http://blog.bio-ressources.com/2019/12/29/monetariser-la-nature-pour-mieux-la-preserver/, consulté le 27 octobre 2020

[7] LOURY Romain. « Biodiversité : la banque a-t-elle le pouvoir de dire oui ? », Journal de l’environnement, 16 octobre 2020, https://www.journaldelenvironnement.net/article/biodiversite-la-banque-a-t-elle-le-pouvoir-de-dire-oui,110428, consulté le 27 octobre 2020

[8] ZINGARO Frédérique, BONNASSIEUX Mathilde (journalistes), 2018. Une banque de graines pour la biodiversité [Documentaire], France/Allemagne, Arte

[9]  TUTENUIT Claire, DUCRET Pierre. « La biodiversité : grande oubliée de la finance verte », Les Echos, 2018, https://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/la-biodiversite-grande-oubliee-de-la-finance-verte-150682, consulté le 27 octobre 2020

[10]  Ibid

[11] BEN ABDALLAH Sana, SAIDANE Dhafer. « Banques durables, banques plus stables », The Conversation, 16 octobre 2020, https://theconversation.com/banques-durables-banques-plus-stables-148058, consulté le 27 octobre 2020